Depuis la sortie de De la neige et des océans en 2006, les accros à la poésie vertigineuse de Jull sont restés orphelins. Allez donc trouver un trousseur de mots de son tonneau, capable de vous dessiner un paysage au lourd passé écroulé en quelques vers, ou de jongler avec des émotions foudroyées au détour de ses rimes piégeuses… Inutile de chercher, Jull est une planète. On a beau le savoir, son retour aux affaires musicales prend tout de meme par surprise. Retenu en captivité sonore pendant des années, l’auditeur transi peine à reconnaître celui dont il avait peu à peu perdu le souvenir. La barbe a poussé, les rides se sont creusées, la sagesse a calmé les ténèbres à défaut de les mater complètement. Il y a d’abord cette voix, habitée de pulsions mélodiques à la fragilité assumée, portée en bandoulière, meme. Cette voix caresse les mots, les entrelace, les torture, parfois, pour le gout de la petite piqure jouissive. Les guitares feulent autour d’elle, bienveillantes. Réincarné en une formation à l’osmose un rien équivoque, Jull ne badine pas. Jull se fout à poil, toutes cicatrices dehors, et sourit. Jull sort son coeur de la poitrine pour nous l’offrir. Jull s’adonne au hoquet électrique façon Play Blessures, revient subitement au froid phrasé des deux albums précédents, avant d’honorer une magnifique instrumentation de sa délicate volupté orale. Selon Eric Cantona, l’artiste est celui qui a le don d’éclairer une chambre noire. La chambre de Jull est savamment tamisée. Les posters d’ados ont été remplacés par des toiles abstraites, la couche est confortable. On s’y sent bien.